Monsieur le Procureur de la république,
Nous tenons à porter à votre connaissance par le biais d’un signalement la situation préoccupante des salariés de l’Hôpital Saint-Jacques en psychiatrie au sein du CHU de Nantes et la mise en danger des patients et de la population suite à, d’une part, la limitation à l’accès aux soins à l’hôpital public et, d’autre part, à des délais de prise en charge qui se rallongent pouvant entrainer des conséquences gravissimes pour les patients.
Depuis de nombreuses années, nous vous alertons sur les conditions d’hospitalisation des mineurs en psychiatrie. En effet, faute de place dans le département, des mineurs sont hospitalisés en psychiatrie adulte. Il existe actuellement que 14 lits de pédopsychiatrie à l’hôpital Daumezon. Les 11 lits de l’unité SHAdo de l’Hôpital de Saint-Nazaire, accueillant des jeunes de 11 à 17 ans depuis le mois de janvier 2021, ont fermé en juillet 2023 faute de pédopsychiatre. En 2020, 82 mineurs ont été hospitalisés en psychiatrie adulte à l’hôpital Saint-Jacques, 108 en 2021, 141 en 2022.
En janvier 2023, à l’hôpital Saint-Jacques, faute de professionnels médicaux, 8 lits de l’unité SEVEL en psychiatrie adulte ont fermé. Ils sont actuellement toujours fermés faute de professionnels paramédicaux.
54 postes infirmiers (postes vacants, arrêts de travail…) sont manquants sur l’ensemble du secteur de la psychiatrie au sein du CHU de Nantes.
Le vendredi 8 septembre 2023, nous apprenions que l’unité ESPACE (unité accueillant des jeunes de 15 ans à 20 ans présentant des risques suicidaires) allait être réduite à 8 lits au lieu de 12 et l’unité TATI (unité d’admission en psychiatrie adulte) allait fermer 8 lits pour pouvoir accueillir les 8 jeunes de l'unité espace, la nuit. Par conséquent, ces fermetures de lits accompagnées d’une réduction de personnel vont entrainer de véritables pertes de chance pour les patients. Nous ne comprenons pas cette décision, 8 jeunes de l’unité Espace iront dormir à l’unité TATI tous les soirs. Des mineurs seront transférés pour la nuit en psychiatrie adulte. Comment la direction a-t-elle pu penser à une telle organisation avec une mise en danger réelle des jeunes, des autres patients et des professionnels ?
La direction s'est engagée à la réouverture complète dans les mêmes conditions de l'unité Espace, à compter du 6 novembre.
Rien n'est mentionné concernant l'unité de soins Tati (psychiatrie adulte).
La réorganisation a commencé sur l'unité TATI dès le week-end du 9 septembre, entrainant des changements de chambre pour des patients psychotiques chez qui cela a généré des angoisses majeures.
L'impact sur les jeunes mineurs d'Espace : plusieurs jeunes de cette unité expriment déjà leurs craintes. La nouvelle organisation va les orienter vers une unité adulte, où ils seront susceptibles de croiser, certains patients qui les impressionnent.
Avec la réduction des lits, dès le 13 septembre, 2 jeunes adolescents ont déjà été hospitalisés, 1 en unité psychiatrie adulte à l’hôpital Saint-Jacques et l’autre sur le CHS de Blain (psychiatrie adulte).
Quand les lits de l’unité Espace sont fermés, les conséquences sont gravissimes. Voici quelques exemples :
- Une jeune patiente de l'unité Espace en permission sur un week-end, s’est sentie mal. Elle aurait souhaité revenir sur son unité d'hospitalisation, ce week-end-là pour des raisons de redéploiement du personnel, la structure de soins était fermée. Cette jeune patiente a refusé d'être hospitalisée, sur l’unité TATI. La conséquence en a été un nouvel passage à l’acte par IMV (Intoxication Médicamenteuse Volontaire).
- Une jeune patiente mineure, a été hospitalisée en psychiatrie adulte au mois de juin, faute de place sur l'unité Espace, elle y a subi des attouchements de la part d’un patient adulte malgré la surveillance des soignants.
La nouvelle organisation prévue pour la nuit, repoussée à plusieurs reprises suite à nos alertes regroupera des patients de psychiatrie adulte et de psychiatrie de l'adolescent, avec des prises en charge spécifiques pour chaque secteur. Il est prévu d'avoir deux soignants, un de l'unité Tati et un de l'unité Espace. Les autres soignants seront redéployés sur d'autres unités de soins. La souffrance psychique des patients peut s'exprimer de différentes manières pendant la nuit, nécessitant des prises en charge et des approches spécifiques. Sur l'unité Tati, la présence de deux infirmières est nécessaire car les nuits peuvent être agitées avec des patients présentant des angoisses majeures, des éléments délirants, des comportements auto-agressifs, et parfois des patients nécessitent une surveillance somatique renforcée. Sur l'unité Espace, la présence de deux infirmières est également nécessaire pour prendre en charge les mineurs. Avec la nouvelle organisation, les angoisses du soir seront plus difficiles à gérer et les risques d'actes auto-agressifs s'accumuleront (IMV, scarifications, tentatives de suicide, etc…). En résumé, la nouvelle organisation prévoit la présence de seulement deux professionnels, une infirmière pour les 8 jeunes et une autre pour 21 patients adultes. Même si la direction de proximité laisse miroiter la présence, lors de certaines nuits, d’un infirmier de renfort, l’organisation actée est bel et bien à 2 professionnels.
Cette organisation est une véritable mise en danger :
- Comment le soignant, en position de travailleur isolé dans le service (quand l’autre soignant sera au plus près des jeunes pour les sécuriser), pourra tout assurer en même temps auprès des patients adultes : le tour des chambres, la distribution des médicaments, la tisane, les soins somatiques, les entretiens individuels, l’abaissement des tensions, etc…. ? C’est impossible. Cela mettra en danger l’infirmier et les autres patients…. En effet, si les patients ne se sentent pas écoutés, cela peut générer de la tension, de la frustration et le passage à l’acte violent est possible que ce soit envers les professionnels mais aussi envers les autres patients alors qu’il y aura des jeunes dans le service.
- Autre souci, les 2 infirmiers ne pourront pas aller en renfort dans les autres services. Lors des situations d’urgences dans les autres unités, alors qu’il y a souvent des intérimaires venant déjà sans carte d’accès, et sans clés, des infirmiers en missions HUBLO (heures supplémentaires), le nombre d’infirmiers sera moindre et il y aura encore une mise en danger des professionnels et des patients.
Ainsi, de nuit, il est inconcevable que les professionnels se retrouvent à 2 dans ce contexte précis.
Le redéploiement est déjà bien connu des équipes depuis plusieurs mois (nous avons envoyé plusieurs mails à la direction cet été pour les alerter de la souffrance que cela générait), mais là, il est bien formalisé. Cela ressemble fort à une annexe de l'équipe de suppléance déjà existante sur site mais très insuffisante en nombre pour remplir ses missions de remplacement des arrêts de travail, sans compter tous les postes vacants.
Le déploiement du personnel va générer des ruptures dans la continuité des soins, un manque de repères pour les patients, des difficultés à créer de l'alliance thérapeutique avec des équipes sans arrêt mouvantes avec des risques de pertes d'informations…Cela va générer de la démotivation, des envies de partir, voire de quitter l’établissement. Chaque soignant fait un choix de travailler dans telle ou telle structure spécifique, des choix orientés en fonction des publics accueillis, nécessitant des formations particulières. Le redéploiement obligatoire sur les autres unités de soins de psychiatrie adulte de l’hôpital Saint-Jacques génère d’ores et déjà du stress et des angoisses.
Le redéploiement permettrait de récupérer au mieux un ou deux professionnels, pour les réaffecter dans d'autres services, sans compter l'augmentation potentielle des arrêts de travail due à la détresse des professionnels. Ainsi, cette fermeture de lits, qui met en danger les jeunes, les autres patients adultes et les professionnels, ne serait donc d'aucune utilité.
Cette nouvelle organisation est une injonction de l'établissement et de la cheffe de service (Docteur BOCHER) qui contraint les équipes à devoir aller à l'encontre de leurs valeurs professionnelles. Les équipes soignantes ont été mises devant le fait accompli sans avoir été concertées en amont. Ils sont contraints de mettre à exécution en quelques jours cette nouvelle organisation sans avoir le temps de s'y préparer, ni de penser le soin en toute sécurité pour les patients. Les soignants sont pris dans un étau entre l'injonction et la colère que cela suscite, l'incompréhension et la conscience professionnelle à continuer à bien prendre soin, leur donnant le sentiment de cautionner cette décision alors qu'ils sont en total désaccord avec cette décision.
Depuis plusieurs années, la CGT du CHU de Nantes ne cesse d’alerter sur la dégradation des conditions de travail de tous les hospitaliers. Pour nous, le diagnostic est clair depuis longtemps, les « organisations » de travail imposées par la direction du CHU sont délétères. Si durant l’année 2022 le Directeur des Ressources Humaines se refusait de faire notre constat que la souffrance au travail et les risques psychosociaux se généralisent sur tout l’établissement, le rapport du Service de Santé au Travail vient clore le débat et donner raison à notre analyse !
Extrait du rapport d’activité du service de santé au travail de 2022 :
« Les risques psychosociaux (RPS) restent extrêmement préoccupants.
Ils se majorent encore cette année et touchent toutes les catégories socio-professionnelles, tout secteur confondu, se traduisant par une augmentation des situations d’épuisement professionnel et de l’absentéisme maladie. […]
Les professionnels font état d’une majoration de la charge de travail en lien avec le sous-effectif important et chronique ; de dysfonctionnements organisationnels ; d’une l’instabilité des équipes, […]
Concernant la charge de travail, sur les secteurs soignants, celle-ci est calculée selon un effectif théorique mais n’est pas mise en adéquation avec l’effectif réellement présent, provoquant de fait des réorganisations répétées, ainsi qu’un déséquilibre important entre le travail prescrit et le travail réel effectué, sans reconnaissance du travail accompli[…]. Les secteurs administratifs ne sont pas épargnés : ils sont confrontés à des situations de souffrances collectives, de conflits dégradés, de sous effectifs. Ces secteurs ne font pas toujours remonter leurs difficultés, considérant qu’elles sont moins légitimes que celle d’autres corps de métiers, notamment les soignants. »
Conséquence directe de cet aveuglement : le nombre de jours d’arrêts de travail explose une nouvelle fois en 2022 avec plus de 28 000 jours d’absences supplémentaires soit un total de 288322 jours d’arrêts de travail sur tout le CHU de Nantes. En 11 ans, c’est une progression de 235 %.
Entre 2015 et 2022, le nombre total de départ augmente de près de 60% (démissions, disponibilités, mutations…).
Le bilan social 2022 est catastrophique et les conséquences sur les professionnels et aussi les patients sont très importantes. En effet, plus l’absentéisme est important, plus l’accès aux soins est limité…
Cela fait des années que le syndicat CGT dénonce les problèmes d'effectifs croissants, et prévient d'une chute Vertigineuse, pourtant de nombreux agents sont venus dans les instances dénoncer la dégradation des conditions de travail et l’insécurité, souvent liées au manque de personnel. Nous n’avons pas été entendus et les professionnels en payent le prix.
Entre 2015 et 2020 c’est 236 lits de fermés en psychiatrie sur la région des pays de la Loire
Les fermetures de lits explosent dans toute la région : 20 lits fermés en 2023 à l’hôpital Saint-Jacques, 30 lits depuis 2022 à l’hôpital de Saint-Nazaire (dont 11 lits de pédopsychiatrie), 17 lits d’admission en secteur adultes à Blain avec des menaces de nouvelles fermetures, une unité d’hospitalisation de secteur psychiatrique de 16 lits menacée à Redon (région Bretagne mais limitrophe), fermeture d’une unité de 18 lits d’hospitalisation de secteur psychiatrique (fermeture de 18 lits) à Cholet, 33 lits fermés à Angers (Césame), 42 lits de fermés en juin 2023 en plus des lits déjà fermés à Allonnes avec absence de médecins dans la zone tampon de préadmission et majoration des hospitalisations sous contraintes générant tensions et insécurité, fermeture de 50 lits de psychiatrie en secteur adultes (pour combien de temps?) et de 5 lits de pédopsychiatrie au centre hospitalier Mazurelle en Vendée, fermeture de 20 lits à Challans, menace de fermeture de 4 lits de pédopsychiatrie à Laval…
La fermeture de lits limite considérablement l'accès aux soins en hospitalisation complète et entraîne une perte de chance pour les patients.
Ces fermetures annoncent forcément une dégradation de la prise en charge des patients.
C'est une nouvelle diminution dramatique de l’accès aux soins, à l’heure où, justement, les besoins de prises en charge psychiatriques dans la population sont plus que jamais nécessaires.
C’est donc la possibilité pour les patients d’accéder aux soins dont ils ont besoin qui est menacée.
Les conséquences sont gravissimes : des risques de rupture de soins avec une majoration des symptômes, une rupture de lien avec les soignants et une altération de l’alliance thérapeutique, des symptômes qui augmentent les risques de passage à l’acte auto ou hétèro-agressif.
Les autorités ne prennent pas en compte la nécessité d’assurer des soins suffisants, de qualité. Ils participent donc à la mise en danger potentielle de la population du reste de la société.
L’abandon de la psychiatrie publique mène à des difficultés majeures pour soigner nos concitoyens qui souffrent. Concrètement, il s’agit de moyens insuffisants qui se caractérisent au quotidien par le manque criant de lits d’hospitalisation complète et des fermetures régulières d’unités de soins intra hospitalières et extra hospitalières (fusion CATTP / HDJ, mutualisation…). Une situation liée, comme dans d’autres services, à une pénurie de médecins et d’infirmiers.
Aucun plan massif de formation et d’embauches de professionnels n’a été mis en place. Il y a pourtant urgence…
Les autorités doivent prendre la mesure de cette alerte sans délais pour éviter des drames humains, pour protéger la population la plus vulnérable, pour un accès à l’hôpital public pour tous, et pour mettre un terme à ces fermetures de lits.
Pour le syndicat CGT du CHU de Nantes, le mardi 26 septembre 2023.
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