La CGT incarne 120 ans d’expérience d’expériences syndicales. Plus d’un siècle d’engagements avec les travailleuses et les travailleurs pour une vie meilleure, digne, libre. 120 ans de solidarité avec les travailleurs du monde entier. Ce fut une lutte de classe ardue avec ses balbutiements, ses échecs et ses conquêtes. Aux antipodes de la société de l’immédiateté il y a beaucoup à comprendre de ce passé, ignoré ou caricaturé par les médias dominants, qui a façonné le monde actuel. Bref retour sur ces années d’expérience.
Les racines du syndicalisme du 21e siècle, celui que nous connaissons aujourd’hui, s’ancrent dans la France du dernier tiers du 19e siècle, avant même le plein essor du capitalisme.
C’est en effet, la révolution industrielle, sous le second Empire, qui provoque l’apparition progressive d’une classe ouvrière moins atomisée. Cette agrégation favorise la conscience de classe qui va propulser la classe ouvrière au rang d’acteur social majeur.
Les origines
Le syndicalisme naissant s’émancipe des formes anciennes de regroupements corporatifs qui, tels les compagnonnages, assuraient des formes de solidarité élémentaires, souvent circonscrites aux professions.
Dès avant 1848, en dépit de la loi Le Chapelier et de l’interdiction de se coaliser, les travailleurs forment, en assez grand nombre, des associations mutualistes. La loi de 1864 lève cet interdit et déclare licite le droit de grève. Les chambres syndicales tolérées à partir de 1868, se multiplient ; des fédérations, locales et nationales, par métiers se mettent en place. Beaucoup sont en contact ou adhèrent à l’Association internationale des travailleurs créée à Londres, en 1864.
En 1871, La Commune de Paris est écrasée dans le sang et le jeune mouvement ouvrier s’en trouve décapité. Dès 1872, celui-ci se reconstitue.
En 1884, la loi Waldeck-Rousseau légalise les syndicats. Peu à peu, deux principes d’organisation s’affirment. Le premier repose sur les solidarités corporatives par branche d’industrie, que réalisent les fédérations nationales professionnelles et la Fédération nationale des syndicats formée en 1886 par les guesdistes. Le second privilégie les solidarités interprofessionnelles à l’échelle des bassins d’emplois au moyen de fédérations locales, que rassemble, en 1892, la Fédération nationale des Bourses du travail animée par Fernand Pelloutier.
La naissance
En 1895, à Limoges, ces deux conceptions du syndicalisme se combinent pour donner naissance à la Confédération générale du travail dont les structures seront consolidées en 1902 à travers l’existence des sections des fédérations professionnelles et des bourses du Travail.
Les premiers pas de la CGT sont hésitants, les clivages politiques sont nombreux. Au Congrès de 1906, alors que la lutte pour les 8 heures et les grèves prennent de l’ampleur, les délégués se retrouvent autour d’ambitions communes. En effet, la Charte d’Amiens assigne trois tâches fondamentales au syndicalisme : la lutte des classes, la « double besogne » (action pour le quotidien et pour la transformation sociale), l’indépendance vis à vis des partis, des Églises, de l’État et du patronat. Pour une majorité, ces positions se confondent avec l’orientation syndicaliste révolutionnaire qui fait du syndicat l’instrument de l’émancipation ouvrière et de la grève générale sa première étape. D’autres se réclament, en revanche, d’orientations réformistes.
Tandis que la CGT s’engage en faveur de la création de fédérations d’industrie, les unions départementales se substituent aux bourses du travail dans les structures confédérales à partir de 1913.
Le fédéralisme, autrement dit le droit pour chaque organisation confédérée à s’administrer et à décider librement, constitue le principe d’organisation de la centrale.
1906 : le fédéralisme
« Le fédéralisme est partout, et à chaque degré l’individu, le syndicat, la fédération sont tous autonomes (…).C’est ce qui fait la puissance de la Confédération. L’impulsion ne vient pas d’en haut, elle part d’un point quelconque et ses vibrations se transmettent, en s’amplifiant, à la masse confédérale » Emile Pouget, Congrès de 1906.
Les années difficiles
Quand 1914 débute, la CGT qui perçoit les risques lance « la guerre à la guerre ». L’assassinat de Jean Jaurès bouleverse la donne. Léon Jouhaux, secrétaire général de la CGT, et les principaux leaders cégétistes acceptent l’Union sacrée, provoquant un retournement d’orientation spectaculaire : la grève générale contre la guerre n’aura pas lieu.
Cette rupture avec la tradition syndicaliste antérieure a de lourdes conséquences. L’armistice du 11 novembre 1918 et la révolution de 1917 ouvrent de nouvelles perspectives à la classe ouvrière : des vagues de grèves accompagnent une poussée sans précédent de la syndicalisation. Pour parer à la progression de la minorité révolutionnaire, la majorité confédérale, groupée autour de Léon Jouhaux, décide d’expulser les syndicats oppositionnels. La CGT se scinde.
A compter de 1922, coexistent deux centrales : la CGT de Léon Jouhaux (confédérée) et la CGT-U (unitaire) dont les principaux dirigeants seront Gaston Monmousseau puis Benoît Frachon. Cette division dure treize ans au cours desquels deux types de syndicalisme coexistent et se déchirent. L’un, d’essence réformiste, attaché à la négociation et à la présence dans les institutions ; l’autre, révolutionnaire, privilégie la grève et articule ses initiatives et ses orientations à celles du Parti communiste. Toutes deux regroupent, inégalement, des fonctionnaires qui ont obtenu de facto le droit de se syndiquer en 1924. Cette division, le contexte créé par la dépression économique de 1929, et ses répercussions en France, paralysent l’action syndicale.
L’unité reconstruite
Le rassemblement antifasciste, d’abord initié par la CGT à partir de février 1934, contribue à surmonter la division d’autant que communistes, socialistes et radicaux s’entendent pour une issue politique.
A Toulouse, en mars 1936, CGT et CGT-U se réunifient. La CGT apporte son soutien au programme du Front populaire. En juin 1936, c’est la victoire ! Aussitôt prolongée par une vague de grèves conclue par l’Accord Matignon qui consigne d’historiques conquêtes sociales.
1936 : Victoire sur la misère
L’Accord Matignon est signé le 7 juin 1936 entre la CGT, la Confédération générale de la production française et le Président du Conseil. Il prévoit : l’augmentation des salaires, le droit d’adhérer librement à un syndicat, les délégués ouvriers, la création des conventions collectives. Les 40 heures et les congés payés sont aussi gagnés.
Pour la première fois dans l’histoire sociale du pays, la syndicalisation devient un phénomène de masse qui profite largement aux ex-unitaires et à leurs conceptions liant mobilisation et acquis sociaux, mais cela est de courte durée.
La droite et le patronat exploitent les failles du Front populaire, la Guerre d’Espagne entraîne des divergences. La signature, en 1939, du Pacte de non-agression entre l’URSS et l’Allemagne fournit le prétexte à l’expulsion de la CGT des militants communistes et des syndicats qu’ils dirigent. La droite exulte : « Plutôt Hitler que le Front populaire » !
Les années noires
La Seconde Guerre mondiale disloque le syndicalisme ; les grèves sont interdites. La CGT est dissoute en novembre 1940, elle ne survit que de manière officieuse ou clandestine. Autour de René Belin, ses dirigeants les plus droitiers sont pétainistes et s’engagent dans la rédaction de la Charte du Travail (octobre 1941) qui prône la collaboration des classes, tandis que les ex-unitaires engagés dans la Résistance animent un combat anti hitlérien de premier ordre ; nombre d’entre eux sont arrêtés, déportés, fusillés.
En 1943, les conditions politiques permettent un accord de réunification avec les ex-confédérés opposés à la Charte, conclu dans la clandestinité au Perreux (près de Paris).
La CGT est membre fondatrice du Conseil national de la Résistance. A la Libération, réunifiée, la Confédération regroupe cinq millions d’adhérents. Léon Jouhaux et Benoît Frachon sont co-secrétaires généraux.
1943 : La CGT et le CNR
En 1943, la Résistance se fédère dans le Conseil national de la Résistance ; pour y parvenir le chemin fut long parfois tragique.
La participation, au Conseil, de la CGT (Louis Saillant) et de la CFTC (Gaston Tessier) ne pose aucun problème.
Cette période, caractérisée par un formidable effort de reconstruction du pays et un rapport des forces favorable aux travailleurs, permet de notables avancées sociales et économiques : nationalisations, Sécurité sociale, comités d’entreprises, statut de la Fonction publique, délégués du personnel…
L’installation de la guerre froide, dès 1947, va lourdement peser sur la CGT qui, favorable à l’indépendance du peuple indochinois, lutte pour le progrès social et contre le plan Marshal.
Sur tous ces points, les ex-confédérés, organisés en tendance autour du journal Force ouvrière, sont en opposition avec la très large majorité des syndiqués. Soutenus par les forces syndicales et politiques anticommunistes, françaises et étrangères, notamment américaines, ils provoquent une nouvelle scission.
À nouveau l’unité de la CGT est brisée comme est brisée l’unité syndicale internationale un moment réalisée dans la Fédération syndicale mondiale.
Le syndicalisme français s’installe dans le pluralisme (CGT, CFTC [1919], CGC [1944], CGT-FO) et le recul de la syndicalisation.
Les années 1947 et 1948 se caractérisent par la dureté des affrontements sociaux et une dure répression. L’anticégétisme d’Etat frappe de nombreux militants qui, au début des années 1950 sont arrêtés, emprisonnés ou contraints à la clandestinité comme Benoît Frachon alors Secrétaire général.
La guerre sans nom
Entre 1954 et jusqu’en 1962, la guerre d’Algérie pèse sur le mouvement social. Sur le front des revendications, la Confédération centre ses actions sur les salaires, la diminution de la durée du travail et contre les l’augmentation des cadences. Favorable à l’indépendance de l’Algérie, elle dénonce l’arrivée au pouvoir du général de Gaulle, en 1958.
Peu à peu, la CGT parvient à regagner des forces. Au printemps 1963, la grève des mineurs inflige à de Gaulle un premier échec. Commence alors, une nouvelle séquence pour le mouvement social.
L’embellie de Mai 68
En janvier 1966, la CGT conclut un accord d’unité d’action avec la CFDT née, en 1964, de la déconfessionnalisation de la CFTC. Pour la première fois depuis la scission de 1948, la CGT sort de son isolement. Face à la montée du chômage, aux attaques contre la gestion démocratique de la Sécurité sociale, aux conditions de travail pesantes, cet accord libère des énergies revendicatives, provoque un essor des grèves, qui préfigurent Mai 68.
Les « événements » de mai-juin 1968 et, en leur cœur, la puissante grève généralisée, avec un pic de huit millions de grévistes, placent la CGT au centre de la vie sociale.
1968 : Le joli mois de mai
L’unité d’action de 1966 provoque un retour des grèves. Début 1968, un mouvement étudiant nait à la faculté de Nanterre. La répression policière (10-11 mai) conduit l’Unef, la CGT, la CFDT et la FEN à organiser une grève et des manifestations le 13 mai. Une nouvelle phase débute.
Le constat de Grenelle (hausse du Smig, création de la section syndicale d’entreprise, promesse de réduction du temps de travail…) et les nombreux accords de branches et d’entreprises constituent d’appréciables résultats. Pourtant le compte n’y est pas : en effet, les espérances d’un changement politique ne se concrétisent pas. La CGT y aspire. En effet, depuis 1965, elle s’est prononcée pour l’union politique des forces de gauches sur la base d’un programme commun. Celui-ci sera signé en 1972.
Les crises des années 1970
Au tournant de la décennie 1970 se manifestent les premiers signes d’une crise structurelle d’ampleur du capitalisme. S’amorce alors une profonde recomposition des entreprises que précipite la désindustrialisation. Les fermetures d’usines se multiplient. Le chômage explose. Des régions entières telles la Lorraine et le Nord-Pas-de-Calais sont dévastées.
La CGT qui au cours de la grève de Mai 68 et dans son sillage s’est renforcée procède au rajeunissement de ses cadres et de ses références. En 1969, elle réforme ses statuts, modifie l’article 1, inchangé depuis 1902. L’objectif d’une « disparition du salariat et du patronat » est remplacé par celui de « la suppression de l’exploitation capitaliste notamment par la socialisation des moyens de production et d’échange ». C’est aussi ce Congrès (37e) qui intègre les régions, l’Ugict, l’UCR et met en place la Commission exécutive
Les générations de 1936 et pour partie celle de la Résistance laissent leur place. En même temps la Confédération réfléchit à son fonctionnement interne, renforce son activité en direction des femmes et des catégories salariales comme les jeunes et les immigrés. Cela ne suffit pas. Les bases historiques d’implantation de la CGT sont attaquées, voire détruites.
Les effectifs syndiqués régressent, la CFDT se « recentre », la division syndicale s’accentue : la capacité de lutte des travailleurs est affaiblie. Au 40e Congrès, réuni à Grenoble, en décembre 1978, que Georges Séguy veut « audacieux, novateur et conquérant », la CGT tente de dégager une issue, mais bute sur des débats internes qui annoncent une crise plus sévère.
Pour la CGT, qui a œuvré en faveur du programme commun, la rupture de l’union de la gauche, en 1977, est un tournant déplorable. C’est dans ce contexte, qu’en 1981, François Mitterrand est élu Président de la République.
1982 : la désillusion ?
Après avoir soutenu sans réserve le Programme commun, la CGT opte pour un soutien fluctuant au Premier ministre, Pierre Mauroy. Il s’agit pour la centrale de concilier une attitude revendicative et un soutien à l’expérience gouvernementale. Les actions contre les restructurations sont nombreuses sans toutefois se coaliser en journée interprofessionnelle de grèves.
L’espoir déçu
Les réformes marquantes du gouvernement de Pierre Mauroy, - les nationalisations, la cinquième semaine de congés payés, les 39 heures hebdomadaires, la retraite à 60 ans, l’abolition de la peine de mort, le remboursement de l’IVG…-, sont contrariées, sinon contredites par la politique de rigueur conduite à partir de l’été 1982.
La France, touchée aussi par les évolutions planétaires - disparition de l’URSS, et des pays « socialistes », instauration de l’OMC - , entre dans une ère nouvelle. Dès lors, la CGT se bat sur tous les fronts de l’exploitation, contre la casse industrielle et le chômage, pour les salaires et la défense de la protection sociale. Les résultats ne sont pas au rendez-vous.
La CGT s’affaiblit. En 1986, des coordinations qui prétendent offrir une voie unitaire créent un peu plus de division. De même la tentative de recomposition des forces syndicales réformistes se fracasse sur la création de SUD PTT, de la FSU et de l’Unsa.
En 1992, Henri Krasucki part, Louis Viannet arrive. Ce dernier entend amorcer une reconquête. Il veut « faire avancer une CGT diverse », plaide pour « un syndicalisme rassemblé » de propositions et d’actions, et, en quittant le Bureau politique du PCF donne un signal d’indépendance.
En décembre 1995, Alain Juppé, Premier ministre, présente une réforme qui met notamment en cause les régimes particuliers de retraites. Au terme de près d’un mois de mobilisations par la grève et les manifestations, il doit reculer.
En 1997, la dissolution de l’Assemblée nationale permet à « la gauche plurielle » de revenir au pouvoir. A la tête du gouvernement, Lionel Jospin n’entend ni les chômeurs ni les salariés du public, mais ne semble pas choqué par « la refondation sociale » prônée par le Medef. Face aux licenciements chez Michelin, il prétend que « l’Etat ne peut pas tout » ! Le 21 avril 2002 c’est Jean-Marie Le Pen qui accède au second tour de l’élection présidentielle. Jacques Chirac est élu président de la République.
Le 21e siècle
En 2003, grévistes et manifestants se dressent face à la « réforme Fillon » des retraites ; mais l’attitude de la CFDT casse leur mouvement. La voie est libre pour des politiques gouvernementales et patronales régressives.
Dans ce contexte la CGT ne se résigne pas, mais peine à mettre en œuvre ses orientations de congrès. L’émiettement syndical, que n’atténue pas l’entrée de la CGT à la CES (1999), est un handicap essentiel pour le mouvement social.
1999 : l’adhésion à la CES
La Confédération européenne des syndicats (CES) existe depuis 1973. La CGT a demandé son adhésion dès son congrès de 1978. La demande de 1996 est encore rejetée comme le souhaite Nicole Notat. Le Congrès de la CES (juin 1999) vote l’adhésion de la CGT, contre l’avis de FO.
Bernard Thibault, est élu secrétaire général, en 1999. Un coin de ciel bleu se montre, en 2006, quand la Confédération contribue de façon décisive à l’échec du projet de CPE.
Au printemps 2010, une nouvelle réforme des retraites provoque une mobilisation de grande ampleur. Avec le vote de la loi et les dissensions syndicales, le mouvement s’effrite.
La CGT contribue aux luttes des sans papiers et des salariés précaires. Ayant quitté la FSM, elle participe à la fondation de la Confédération syndicale internationale (CSI) en 2006.
Alors que la défaite de Nicolas Sarkozy, en 2012, réjouit, la présidence de François Hollande nourrit déception et interrogation sur la riposte à apporter.
La crise systémique du capitalisme, ouverte en 2007-2008, affecte toutes les sphères de la société. UMP et PS sont au bord de l’implosion. Le mouvement syndical est très atteint dans son efficacité et sa crédibilité.
En 2013, le changement de Secrétaire général provoque une crise interne. Le nouvel élu, Thierry Lepaon, œuvre au déploiement d’une CGT revendicative, active et négociatrice.
En 2014, la CGT décide de célébrer son 120e anniversaire pour améliorer la compréhension de son histoire, pour s’approprier davantage son expérience séculaire afin de mieux répondre aux défis du présent et se projeter dans la construction d’un avenir radicalement inédit.
Si vous souhaitez approfondir vos connaissances vous pouvez aussi consulter l'institut CGT de l'histoire Sociale a cette adresse: http://www.ihs.cgt.fr/
Origine du texte: http://www.cgt.fr/Depuis-1895-la-CGT.html